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Libération
Coulisses de Bruxelles

Martin Selmayr et les comploteurs de la Commission

Il semblerait que l'eurocrate, propulsé le 21 février au secrétariat général de l'institution européenne, aurait bénéficié de petits arrangements avec la réglementation.
Jean-Claude Junker et Martin Selmayr, le 11 juin 2015 à Bruxelles. (Photo John Thys. AFP)
par Jean Quatremer, correspondant à Bruxelles
publié le 25 février 2018 à 15h43

Le coup d'Etat du tridi 3 ventôse (mercredi 21 février), qui a permis à l'eurocrate inconnu Martin Selmayr de s'emparer du pouvoir au sein de la Commission – en cumulant de facto les fonctions de secrétaire général et de chef de cabinet du président – n'en finit pas de provoquer des vagues. A mesure que la poussière retombe, il apparaît que les règles internes ont été malmenées, voire délibérément violées par Selmayr, avec la complicité d'un petit groupe de comploteurs et, bien sûr, du président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, en personne.

En effet, l’actuel chef de cabinet du président de la Commission ne pouvait pas être directement nommé secrétaire général, «le» poste le plus important de l’exécutif européen, car n’étant que «directeur», il n’avait pas le grade requis. Il n’a occupé cette fonction qu’un jour, en 2014, le temps de la valider et en réalité, Selmayr n’a jamais travaillé dans les services : il a d’abord été porte-parole (2004-2009) puis chef de cabinet (2009-2014) de la commissaire Viviane Reding avant d’occuper la même fonction chez Juncker.

Record mondial

Précisons qu’il y a plusieurs fonctions d’encadrement au sein de la Commission. Dans l’ordre croissant : chef d’unité, le directeur, le conseiller principal, le directeur général adjoint (DGA) et enfin le directeur général (DG). Or pour être nommé à ces différents postes, la procédure est pour le moins lourde : appel d’offres public, oral devant un panel de présélection, classement par un Comité consultatif des nominations (CCN), examen des compétences par un consultant extérieur (Mercuri Urval), retour devant le CCN, entretien avec le commissaire qui recrute et pour finir nomination par le collège des 28 commissaires. Si la tradition veut que le président de la Commission ait une large latitude pour nommer le secrétaire général, il ne peut puiser directement que dans le vivier des DGA et des DG. Autant dire que le directeur Selmayr devait, avant d’être nommé secrétaire général (équivalent d’un DG), passer par l’étape secrétaire général adjoint.

Certes, Selmayr a bien posé sa candidature à ce poste, fin janvier, lorsque celui-ci est devenu vacant. Mais il faut plus de quinze jours pour mener à terme la procédure de recrutement. Or, le concernant, cela n’a pas pris longtemps : le 21 février, Selmayr a d’abord été nommé secrétaire général adjoint. Puis dans la foulée, le secrétaire général en fonction, le Néerlandais Alexander Italianer, a démissionné, avant d’être remplacé par… Martin Selmayr. Deux promotions en moins d’une minute. Du jamais vu, un vrai record mondial. Le tout à la stupéfaction des commissaires européens qui n’ont pas été mis dans la confidence, y compris Günther Oettinger, commissaire pourtant chargé des ressources humaines. Mais avec une dose de courage qui frôle le niveau zéro, personne n’a moufté. Mieux (ou pire), tout ce beau monde a validé ce joli «golpe». Pas mal pour une Commission censée être la gardienne des traités, c’est-à-dire du respect des règles.

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